Rente Linotte

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La rente Linotte est une rente versée par l'État français en continu depuis le XVIIIe siècle. Il s'agit de la plus vieille obligation souveraine encore rémunérée dans le monde.

Histoire[modifier | modifier le code]

Au XVIIIe siècle, le juriste Claude-Henri Linotte, né en 1686, se voit proposer par le duc de Bouillon, pour lequel il travaille, une rente de 2 000 francs par an jusqu'à sa mort[1]. Afin de protéger sa famille de la précarité à sa mort, il demande de recevoir une rente de 1 000 francs (14 000  de 2019) par an, mais qu'elle soit payée à ses descendants[2]. Le premier paiement a lieu en 1738[3].

Toutefois, les terres du duc sont annexées par la France après la Révolution française, en 1795, et le pays récupère les actifs comme les passifs du territoire, dont ses engagements financiers[4]. En 1807, Napoléon Ier inscrit la rente Linotte dans la loi afin d'assurer son paiement[4]. Toutefois, dès 1811, l'inflation commence à éroder la valeur du paiement annuel, qui est réduit à moins de 6 000  (en euros de 2019) par an. Bonaparte tient son engagement et le confirme dans un décret impérial du , qui dispose dans son article premier :

« 1. La rente de sept cent quatre vingt dix francs au nom du sieur Linotte (Claude Louis) portée par erreur sur l'état des rentes perpétuelles dues par la succession Bouillon annexé à notre décret impérial du , article 96, sera inscrite au grand livre de la dette viagère au nom du dit sieur Linotte […] pour s'éteindre au dernier survivant. »

Sous la Troisième République, la rente Linotte, qui était tombée dans l'oubli, refait surface. En 1898, le ministère des Finances propose aux descendants de Linotte de liquider l'obligation contre une indemnisation. La famille Linotte refuse[1]. La Commission des Finances de l'Assemblée nationale demande à plusieurs reprises, entre 1903 et 1909, à ce que le gouvernement négocie la liquidation, mais les bénéficiaires refusent à nouveau[4]. Du fait du désarrimage du franc à l'or, des dévaluations successives et des émissions de nouveaux francs, la valeur de la rente passe sous les 100  en 1928, et passe à 11  en 1960[3],[1].

La rente Linotte est largement oubliée jusqu'en 1998. Dans une question adressée au ministère des Finances, il est demandé à l'administration si la rente continue d'être servie. Dans une réponse en date du , l'administration confirme que l'obligation est toujours active, mais qu'il n'appartient qu'« aux descendants de Mme Linotte de Poupéhan d'en demander le paiement à mes services en faisant valoir leurs droits dans les conditions qui sont précisées dans le libellé du titre ».

La valeur de la rente annuelle est en 2019 de 1,20 . Bien qu'elle ne soit pas demandée par les cinquante-huit descendants de Linotte en vie[3], en 2019, Roxane Certner, porte-parole de l'Agence France Trésor, confirme que la rente est toujours inscrite dans le budget de l’État[3].

Postérité[modifier | modifier le code]

Elle est redécouverte par l'économiste français de la Réserve fédérale des États-Unis, François Velde, en 1990[2]. Il publie un article sur le sujet, et retrouve les descendants de Linotte en France. Dans un ouvrage de 2017, Mihir A. Desai en fait un exemple du caractère moderne de la gestion financière de la dette par la France[5].

Bruno Fuligni, dans Les Lois folles de la République, soutient que la France n'a pas d'intérêt immédiat à négocier la liquidation de cette rente. En effet, « pour seulement dix centimes d'euro par mois [...] le gouvernement français démontre ainsi au monde la solidité de sa parole et la stabilité de ses engagements financiers »[4].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. a b et c (en) « A Government Pension That's Lasted 271 Years », sur cbsnews.com (consulté le ).
  2. a et b (en) François R. Velde, « The case of the undying debt », Financial History Review, vol. 17, no 2,‎ , p. 185–209 (ISSN 0968-5650 et 1474-0052, DOI 10.1017/S0968565010000168, lire en ligne, consulté le ).
  3. a b c et d (en) Christopher Whittall and Georgi Kantchev, « The Bond That’s Still Paying Interest, 280 Years Later », Wall Street Journal,‎ (ISSN 0099-9660, lire en ligne, consulté le ).
  4. a b c et d Bruno Fuligni, Les Lois folles de la République, (ISBN 978-2-7096-6769-2 et 2-7096-6769-X, OCLC 1280413326, lire en ligne).
  5. (en) Mihir Desai, The Wisdom of Finance: How the Humanities Can Illuminate and Improve Finance, Profile, (ISBN 978-1-78283-422-9, lire en ligne)