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Filioque

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Vitrail représentant le Saint-Esprit. Basilique Saint-Pierre, Vatican, Rome

Le Filioque ( /fi.ljɔ.kwe/) est un terme latin signifiant "et du Fils" dont l'addition au Symbole de foi de Nicée-Constantinople prend lieu en l'Espagne Wisigoth au Ve siècle. Son usage dans ce symbole se répand petit à petit dans tout l'Occident et devient sujet à controverses entre le christianisme dit occidental, et le christianisme dit oriental. Par le terme de Filioque est désigné la procession hypostatique du Saint-Esprit par le Père, mais aussi par le Fils, et ce coéternellement. En d'autres termes, « que le Saint-Esprit est éternellement du Père et du Fils et tire son essence et son être du Père et en même temps du Fils, et procède éternellement de l’un et de l’autre, comme d’un seul principe et d’une inspiration unique »[1].

Cette doctrine relève de la pneumatologie, et sa considération, dans le Christianisme Occidental comme un dogme, puis son ajout au Symbole de Foi, créé la querelle du Filioque. Celui-ci est l'une des causes du grand schisme de 1054 créant l'Église catholique, qui reconnaît le Filioque comme un dogme, et l'Église orthodoxe des sept conciles, pour qui le Filioque est un blasphème.

Credo est une appellation simplifiée répandue en Occident pour parler du Symbole de Nicée-Constantinople issu du premier concile œcuménique de Constantinople, en l'an 381. Selon ce concile, toute chose professée dans ce symbole de foi doit être fermement cru et professé afin d'être considéré chrétien. Il contient un passage entier concernant le Saint-Esprit:

Original grec Retranscription latine Traduction française
Kαὶ εἰς τὸ πνεῦμα τὸ ἅγιον, τὸ Κύριον, τὸ ζωοποιόν, Et in Spiritum Sanctum, Dominum et vivificantem, Et en l'Esprit Saint, Seigneur et qui donne la vie,
τὸ ἐκ τοῦ πατρὸς ἐκπορευόμενον, qui ex Patre procedit, qui procède du Père,
τὸ σὺν πατρὶ καὶ υἱῷ συμπροσκυνούμενον καὶ συνδοξαζόμενον, qui cum Patre, et Filio simul adoratur, et cum glorificatur, qui avec le Père, et le Fils, Il reçoit même adoration et même gloire,
τὸ λαλῆσαν διὰ τῶν προφητῶν· qui locutus est per prophetas. il a parlé par les prophètes.

Au sein du christianisme occidental, le Filioque sera progressivement rajouté, dans le but d'affirmer son aspect dogmatique selon celui-ci, dans le Credo, à la ligne suivante:

Modification latine Retranscription grecque Traduction française
qui ex Patre Filioque procedit, τὸ ἐκ τοῦ Πατρὸς καὶ τοῦ Υἱοῦ ἐκπορευόμενον, qui procède du Père et du Fils,

Cette addition provoquera de nombreuses controverses entre l'Occident et l'Orient, mises sous le nom de querelle du Filioque.

L'article précédemment lié aborde le développement du dogme, ses controverses, ainsi que ses critiques.

En pneumatologie, le dogme catholique du Filioque se positionne sur la procession hypostatique éternelle du Saint-Esprit. C'est-à-dire sur la manière dont la personne du Saint-Esprit est mise en existence depuis l'éternité, au sein de la Trinité.

Représentation du Filioque, Retable de Boulbon (XVe siècle), musée du Louvre, Paris.

Selon celui-ci, le Saint-Esprit procède ad intra (à l'intérieur de la Trinité, en ce que Dieu est réellement) ab utroque (de par les deux, à la fois) du Père et du Fils. Ainsi, d'après cette doctrine, non seulement Dieu le Père, mais aussi Dieu le Fils sont à la fois principe et cause de la subsistance du Saint-Esprit, non pas comme deux causes distinctes, mais « comme d'un seul principe et d'une inspiration unique »[1].

« Le mot “ principe ” signifie bien ici la propriété de spiration, mais il la signifie sous forme de substantif concret comme sont les mots “ père ” et “ fils ” même dans le cas des créatures. Par suite ce mot prend le nombre de la forme signifiée, selon la loi du pluriel des substantifs. De même donc que le Père et le Fils sont un seul Dieu, car la forme signifiée par le mot “ Dieu ” est unique, de même ils sont “ un seul principe ” du saint Esprit, parce que la propriété signifiée par le “ principe ” est unique. »[2]

Bien que sa reconnaissance comme un dogme prend forme dans tout l'Occident au VIIIe siècle, lorsqu'il est inséré dans le Credo, il ne sera vraiment officialisé comme un dogme en 1215, par le quatrième concile du Latran : « Pater a nullo filius autem a solo patre ac spiritus sanctus ab utroque pariter absque initio semper et fine. » - « Le Père ne vient de personne, le Fils vient du Père seul, et l'Esprit Saint vient des deux de la même manière, sans commencement et sans fin. »[3]. Sa validité dogmatique selon l'Église catholique est de nouveau affirmée au deuxième concile de Lyon[4] ainsi qu'au concile de Bâle-Ferrare-Florence-Rome[1].

Arguments théologiques

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En 1102, Anselme de Cantorbéry, vu comme précurseur voire créateur de la scolastique et à l'origine de l'argument ontologique, écrit De Processione Spiritus Sancti Contra Graecos (Sur la Procession de l'Esprit Saint Contre les Grecs). Il y regroupe des arguments qu'il aurait énumérés au concile de Bari, contre les évêques italiens d'anciens territoires byzantins récemment conquis par les Normands. Il avance que le seul fait que le Père engendre le Fils et procède le Saint-Esprit suffit à les distinguer l'Un de l'Autre, et donc à concevoir trois personnes car leur seule relation qu'Ils ont avec le Père, l'un par engendrement, l'autre par procession, suffit à les différencier. Il prend alors pour axiome que, lorsqu'il énumère la consubstantialité du Père avec le Fils, ou du Père avec le Saint-Esprit; « il en découle que le Fils est (comme procédant) du Saint-Esprit ou que le Saint-Esprit est (comme procédant) du Fils, aucune pluralité ne naît ici qui contredirait la conséquence de l’unité, parce que je ne dis pas que les deux sont, mais seulement que l’un l’est. »[5]. Avançant ce point comme une nécessité absolue, il en conclut qu'« il n’y a de Dieu issu de Dieu que par naissance, comme le Fils, ou par procession, comme le Saint-Esprit. Or, le Fils ne naît pas du Saint-Esprit. Car s’il naissait de lui, il serait Fils du Saint-Esprit, et le Saint-Esprit serait son Père. Mais ni l’un ni l’autre n’est le Père ou le Fils de l’autre. Le Fils ne naît donc pas du Saint-Esprit. Et il est tout aussi clair qu’il ne procède pas de lui ; sinon il serait l’Esprit du Saint-Esprit, ce que l’on nie expressément, puisqu’on dit et croit que le Saint-Esprit est l’Esprit du Fils. Il ne peut en effet être l’Esprit de son propre Esprit. Donc le Fils ne procède pas du Saint-Esprit. En aucune manière, donc, le Fils n’est du Saint-Esprit. Il en découle, par une raison irréfutable, que le Saint-Esprit est du Fils, comme il est du Père. »[6].

Au XIIIe siècle, Thomas d'Aquin, considéré comme l'un des principaux maîtres de la philosophie scolastique et de la théologie catholique, argumente en faveur du Filioque dans la Somme théologique. Il y développe l'idée qu'« il est nécessaire de dire que l'Esprit Saint est (comme procédant) du Fils. En effet, s'il n'est pas (comme procédant) de lui, d'aucune façon on ne peut le distinguer personnellement de lui »[7]. Selon cette idée, il serait aberrant de considérer que le Saint Esprit procède du Père seul. Thomas argumente cela en le fait que si le Père, le Fils, et le Saint-Esprit sont véritablement un Dieu, ils ont forcément une essence, divine, unique. Donc, tout attribut, c'est-à-dire toute propriété de l'essence, est commune au Père, au Fils, et au Saint-Esprit, car « n'importe quelle chose dite en Dieu concerne de manière absolue l'unité de l'essence. Il en résulte donc que seules les relations entre les personnes divines les distinguent mutuellement. » [8]. Cet argument possède comme axiome que la procession hypostatique est l'unique relation distinguant le Fils et le Saint-Esprit.

À partir du XXe siècle l'éminent théologien catholique Karl Rahner, dans Dieu Trinité, développe ce qui sera appelé plus tard GrundAxiom, également appelé axiome rahnérien tant il est important dans sa théologie. Celui-ci stipule que la Trinité économique, c'est-à-dire la Trinité ad extra (en dehors d'elle-même: dans son action dans le monde, par le prisme de la Révélation mais aussi des grâces) reflète et est identique à la Trinité ad intra, qu'il appelle Trinité immanente[9]. Cet axiome est développé dans le but de concilier la révélation de la Trinité et son caractère salutaire. Mais il arrive qu'il soit également utilisé pour concilier la procession économique, ainsi que la procession énergétique, longtemps oubliées en Occident, et utilisées comme critiques du dogme (voir querelle du Filioque) afin de justifier le Filioque.

Références

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  1. a b et c Eglise Catholique, Concile de Bâle-Ferrare-Florence-Rome (lire en ligne).
  2. Thomas d'Aquin, Somme théologique, Prima Pars, Question 36, Article 3.
  3. Ecclesiae catholicae, « Concilium Lateranum IV ».
  4. Ecclesiae catholicae, Concilium Lugdunense II, Lyon,  :

    « " Fideli ac devota professione fatemur quod spiritus sanctus aeternaliter ex patre et filio non tanquam ex duobus principiis sed tanquam ex uno principio non duabus spirationibus sed unica spiratione procedit. " " Nous professons avec fidélité et dévotion, que l'Esprit Saint procède éternellement du Père et du Fils, non comme provenant de deux principes mais comme d'un seul, non comme issu de deux spirations (différentes) mais (comme) d'une (seule et) unique spiration." »

  5. (la) Anselme de Cantorbéry, De Processione Spiritus Sancti (lire en ligne) :

    « sequi fillum esse de spiritu sancto aut spiritum sanctum de filio: nulla ibi pluralitas generatur, quae obuiet unitatis consequentiae, quia non utrumque dico esse, sed alterum tantum. »

  6. Anselme de Cantorbéry, De Processione Spiritus Sancti (lire en ligne) :

    « Non enim est deus de deo, nisi aut nascendo ut filius, aut procedendo ut spiritus sanctus. Filius autem non nascitur de spiritu sancto. Si enim nascitur de illo, est filius spiritus sancti, et spiritus sanctus pater eius. Sed alter alterius nec pater nec filius est. Non ergo nascitur filius de spiritu sancto. Nec minus apertum est quia non procedit de illo. Esset enim spiritus eiusdem spiritus sancti. Quod aperte negatur, cum spiritus sanctus dicitur et creditur spiritus filii. Non enim poses, esse spiritus sui spiritus. Quare non procedit filius de spiritu sancto. Nullo igitur modo est de spiritu sancto filius. Sequitur itaque inexpugnabili ratione spiritum sanctum esse de filio, sicuti est de patre. »

  7. (la) Thomas d'Aquin, Somme théologique, Prima Pars, Question 36, Article 2 :

    « Respondeo dicendum quod necesse est dicere Spiritum Sanctum a Filio esse. Si enim non esset ab eo, nullo modo posset ab eo personaliter distingui. »

  8. (la) Thomas d'Aquin, Somme théologique, Prima Pars, Question 36, Article 2 : :

    « quidquid enim in divinis absolute dicitur, ad unitatem essentiae pertinet. Relinquitur ergo quod solum relationibus divinae personae ab invicem distinguantur. »

  9. (en) Karl Rahner, The Trinity, p. 21 :

    « C. The Axiomatic Unity of the Economic" and

    "Immanent" Trinity

    The isolation of the treatise of the Trinity has to be wrong. There must be a connection between Trinity and man. The Trinity is a mystery of salvation, otherwise it would never have been revealed. We should show why it is such a mystery. We must point out in every dogmatic treatise that what it says about salvation does not make sense without referring to this primor- dial mystery of Christianity. Wherever this permanent pericho- resis between the treatises is overlooked, we have a clear indication that either the treatise on the Trinity or the other treatises have not clearly explained connections which show how the mystery of the Trinity is for us a mystery of salvation, and why we meet it wherever our salvation is considered, even in the other dog- matic treatises. The basic thesis which establishes this connection between the

    treatises and presents the Trinity as a mystery of salvation (in its reality and not merely as a doctrine) might be formulated as follows: The "economic" Trinity is the "immanent" Trinity and the "immanent" Trinity is the "economic" Trinity. »

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